Le Conseil d’État trace le régime juridique du bail rural lorsque, précisément, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres procède à l'intégration dans le domaine public de biens immobiliers occupés et mis en valeur par un exploitant déjà présent sur les lieux en vertu d'un bail rural en cours de validité.
Avec une grande clarté, le Conseil d’État vient de tracer, par arrêt du 7 juin 2023, le régime juridique du bail rural lorsque, précisément, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres procède à l'intégration dans le domaine public de biens immobiliers occupés et mis en valeur par un exploitant déjà présent sur les lieux en vertu d'un bail rural en cours de validité.
Tout d’abord, la Haute juridiction retient que ce bail constitue, jusqu'à son éventuelle dénonciation, un titre d'occupation de ce domaine. Ainsi ce titre empêche que le preneur soit expulsé ou poursuivi sur le fondement d'une contravention de grande voirie pour s'être maintenu sans droit ni titre sur le domaine public (CGPPP, art. L. 2132-2). Toutefois, la Haute juridiction formule une réserve. En effet, ledit bail rural ne peut, une fois ces biens incorporés au domaine public, conserver un caractère de bail rural dans toutes ses aspects. Autrement dit, les stipulations du contrat qui contreviendraient aux règles de la domanialité publiques ne sauraient s’y appliquer.
Par ailleurs, et en contrepoint de cette position protectrice du preneur à bail, le Conseil d’État estime que le conservatoire peut décider de dénoncer le bail rural qui n'était pas encore parvenu à expiration, pour mettre fin à cette occupation et priver, par conséquent, l'exploitant du droit et du titre d'occupation procédant de ce bail. Cette faculté bénéficie au conservatoire dès l'incorporation au domaine public de terres mises en valeur par un exploitant. Ce choix laissé à la discrétion du conservatoire est atténué par la possibilité qui lui est offerte d’estimer que l'usage des biens relevant de son domaine propre peut être associé à une exploitation agricole. Dès lors, le conservatoire peut alors proposer de conclure avec ce même exploitant – en application du droit de priorité qui lui est conféré en vertu de l'article L. 322-9 du Code de l'environnement – une convention d’usage temporaire afin que celui-ci puisse continuer l’exploitation du fonds de terres en adéquation avec les missions conférées à l’établissement public propriétaire, lequel devant assurer la sauvegarde de l’espace littoral et veiller au respect des équilibres écologiques et la préservation des sites naturels.
Si le bail conclu n’était pas dénoncé au moment de l’incorporation du bien dans le domaine public maritime et d’ici l’échéance du bail rural – c’est-à-dire la date à laquelle, en tout état de cause, le régime de la domanialité publique s’appliquera et fera ainsi obstacle à l’application du bail rural – le conservatoire pourra laisser le preneur disposer du fonds de terre poursuivre à titre précaire son occupation associée à une exploitation agricole. En revanche, seules les clauses du bail rural qui ne sont pas incompatibles avec la domanialité publique et les missions confiées au conservatoire précitées s’appliqueront.
Dès lors, « en jugeant, sur la base des faits rappelés [...], qu'elle a souverainement appréciés sans les entacher de dénaturation, et par un arrêt qui est suffisamment motivé et qui n'avait d'ailleurs pas, au regard de la motivation retenue, à se prononcer sur la question d'une identité de litige entre celui soumis au tribunal paritaire des baux ruraux de Tarascon et celui relevant du tribunal administratif de Marseille, que le bail rural de M. A., dont la validité a été reconnue jusqu'au 30 mars 2022 par un jugement du 15 mai 2019 du tribunal paritaire des baux ruraux, ne pouvait, en dépit d'une vaine invitation adressée par le conservatoire à M. A... à signer une convention d'usage temporaire et spécifique au cours de l'année 2014, être regardé comme dénoncé à la date d'établissement du procès-verbal d'infraction du 28 mars 2018 et que, par suite, M. A., exploitant présent sur les lieux à la date d'incorporation des parcelles du domaine du Taxil dans le domaine public du conservatoire, ne pouvait être regardé à la date de ce procès-verbal, faute de dénonciation par le conservatoire du contrat de bail qui le liait à M. A., comme un occupant sans droit ni titre de ce domaine, la cour administrative d'appel, qui n'avait d'ailleurs pas à rechercher si le conservatoire avait l'intention de lui octroyer un tel droit dès lors qu'il lui appartenait le cas échéant d'en constater elle-même l'existence, n'a pas commis d'erreur de droit ni d'erreur de qualification juridique des faits. Elle n'a pas davantage commis d'erreur de droit en jugeant qu'à compter du 1er janvier 2017 et jusqu'à son expiration, ce bail dont elle n'a d'ailleurs pas, contrairement à ce qui est soutenu, considéré, en vertu du régime de la novation prévu aux articles 1329 et suivants du code civil, que s'y était substituée une convention d'usage temporaire et spécifique établie conformément aux dispositions de l'article L. 322-9 du code de l'environnement, a pu néanmoins, jusqu'à sa dénonciation ou son expiration, conférer à son titulaire un droit d'occupation et d'usage précaire sur cette partie du domaine public du conservatoire. Le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres n'est, par suite, pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ».
Ce faisant, la Haute juridiction commence à unifier sa jurisprudence relative à l’incorporation de biens soumis à bail dans le domaine public (v. s’agissant d’un bail commercial : CE, 21 déc. 2022, n° 464505, Cne de Saint-Félicien).
En pratique, un bail rural portant sur un fonds de terre incorporé au domaine public ne cesse pas de plein droit de produire ses effets juridiques. En effet, son exécution se poursuit en toutes les dispositions non contradictoires à la domanialité publique. En d’autres termes, le rattachement d’un fonds de terre au domaine public ne suffit pas à mettre un terme au bail rural applicable et liant le propriétaire au preneur. Ainsi, le régime des contraventions de grande voirie ne saurait s’appliquer dans la mesure où le preneur n’est pas un occupant sans droit ni titre du domaine public. Dans tous les cas, une exploitation agricole des biens incorporés au domaine propre de l'établissement public qui porte atteinte à l'intégrité ou à la conservation de ce domaine constitue, en vertu de l'article L. 322-10-4 du Code de l'environnement, et sans préjudice des sanctions pénales encourues, une contravention de grande voirie qu'il appartient au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres de constater, réprimer et poursuivre par voie administrative.
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