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Droit et art à la plage avec Léonard de Vinci (épisode 4)


L’art a indubitablement à nous apprendre sur la façon de penser le droit. Au programme de ce quatrième épisode : Léonard de Vinci.

Droit et art à la plage avec Léonard de Vinci

Léonard de Vinci, Portrait de Lisa del Giocondo (la Joconde, Mona Lisa), 1503-1506 et plus tard (1510 ?)



Les rapports entre l’art et le droit se prêtent à des considérations contrastées : l’artiste devra à un moment ou un autre se confronter au droit tandis que le juriste ne rencontrera pas forcément l’art sur son chemin. Cela est dû au fait que le droit est fortement replié sur lui-même ou très « autonomisé ». Pour autant, si l’on admet que l’œil du peintre s’oppose à la langue du juriste, la confrontation n’est pas vaine puisque ces disciplines conduisent à un enrichissement réciproque fait d’emprunts, d’interactions et de dialogue. Il est vrai que, pour le Doyen Carbonnier, « de même que le roman le plus strictement littéraire peut charrier des paillettes juridiques, dans l’œuvre d’art, sous un sujet parfaitement étranger au droit […], le juriste peut percevoir quelque chose qui s’adresse obscurément à lui ».




Léonard de Vinci, de son vrai nom Leonardo di ser Piero da Vinci, est né le 15 avril 1452 en Toscane (Italie), d’une relation illégitime entre le notaire, chancelier et ambassadeur de la République florentine Piero da Vinci et une certaine Caterina. Dans les années 1460, il devient l’élève d’Andrea del Verrocchio, célèbre artiste de Florence, auprès duquel il se forme. C’est durant cette période, qu’il reçoit ses premières commandes personnelles et réalise son premier tableau, La Madone à l’œillet (1476) – même si L’Annonciation (vers 1472-1475) de l’atelier de Verrocchio lui est attribuée. Devenu maître-peintre indépendant, son travail ne laisse pas indifférent Laurent de Médicis qui l’envoie comme émissaire auprès de Ludovic Sforza, duc de Milan. La notoriété de Léonard le conduit rapidement vers Mantoue, Venise et Rome tout en alternant les faveurs de Cesare Borgia, des français de Lombardie et de Julien de Médicis, avant que le roi François Ier ne fasse appel à lui. C’est ainsi que de Vinci arrive en France, en janvier 1517, accompagné de son fidèle élève Francesco Melzi et de trois toiles majeures : Saint Jean Baptiste (1513-1516), La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne (vers 1502-1516) et La Joconde (1503-05). Logé en Touraine au manoir de Cloux, actuel château du Clos-Lucé, l’artiste est à proximité du château d’Amboise où demeure le roi de France qui l’a nommé « premier peintre, premier ingénieur et premier architecte du roi ». C’est en ces lieux que Léonard sera emporté par la maladie, le 2 mai 1519, à l’âge de 67 ans. Véritable génie universel et archétype de l’homme de la Renaissance – seul Michel-Ange rivaliserait avec lui –, de Vinci est célébré comme ingénieur ayant développé des idées en avance sur son temps (avion, hélicoptère, sous-marin, etc.) ou scientifique ayant fait progresser l’anatomie ou l’optique. Toutefois, c’est par sa peinture, qui tira l’art du Moyen Âge, que l’artiste remporte aujourd’hui toutes les faveurs. Quels enseignements le droit pourrait-il alors retirer de la vie et de l’œuvre de Léonard de Vinci ?



ON A VOLÉ LA JOCONDE !


L’histoire est connue : lorsque le peintre Louis Béroud pénètre, le 22 août 1911, dans le Salon carré du musée du Louvre, la « Belle Italienne » est absente ! Émotion populaire et regain d’attractivité accompagnent cette disparition tandis que le directeur du musée Théophile Homolle est contraint à la démission et que les services spéciaux du ministère de l’Intérieur, les Brigades du Tigre ou le très moderne Service de l’identité judiciaire sont mises à rude épreuve : les jours passent sans la moindre piste sérieuse. Ce n’est que le 12 décembre 1913 que Vincenzo Peruggia, peintre en bâtiment et vitrier, est arrêté à Florence après qu’il ait proposé à un antiquaire d’acquérir, dans de curieuses conditions, La Joconde. Heureux épilogue pour la France qui put récupérer le tableau à la fin de l’année 1913 tandis que Peruggia fut remis au sort de la justice italienne. Néanmoins, la France qui avait oublié de signaler officiellement le vol aux autorités transalpines permis à Peruggia de plaider le fait qu’il ne faisait pas l’objet d’une plainte formelle et légale de l’État français, seul intéressé à intenter des poursuites judiciaires contre lui. En outre, il invoqua un motif patriotique : rendre à l’Italie ce chef-d’œuvre qui avait été subtilisé par les armées napoléoniennes. Or, la question d’un retour de la Joconde au pays de Dante s’avère impensable : l’œuvre ayant été légalement acquise par François Ier en 1518. Finalement, les juges d’appel florentins estimèrent que Peruggia s’était rendu coupable d’un délit de vol et fut condamné à sept mois et huit jours d’emprisonnement. Une folle anecdote qui esquisse l’importante question de la protection du patrimoine culturel. Il est vrai que c’est durant la cavale de La Joconde – meuble corporel du domaine public mobilier et classé au titre des monuments historiques – que la France a préparé et promulgué son importante loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques. Celle-ci établit pour la première fois un lien entre le droit pénal commun et la protection de certains biens culturels « mais, alors que la responsabilité des gardiens et conservateurs est envisagée lorsqu’ils auront laissé soustraire des biens classés, la qualité de ces biens n’est pas une circonstance aggravante de l’infraction de vol »[1]. Une étrange lacune que le législateur ne combla qu’en 2008 en précisant que « le vol est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende lorsqu’il porte sur : 1° Un objet mobilier classé ou inscrit en application des dispositions du code du patrimoine (…) ; 3° Un bien culturel qui relève du domaine public mobilier »[2]. Un oubli qui n’est certainement pas étranger au fait que le droit pénal du patrimoine culturel soit aujourd’hui « mal connu de l’institution judiciaire, entraînant peu de poursuites sur le fondement des infractions du Code du patrimoine »[3].



VOYAGE, VOYAGE


Quand François Ier vint chercher de Vinci à Florence pour l’installer au château d’Amboise, La Joconde suit naturellement son auteur. À son décès, le roi l’accrochera au château de Fontainebleau et sera transférée au Palais du Louvre jusqu’à ce que Louis XIV l’expose dans son cabinet versaillais avant de revenir définitivement au Louvre devenu musée, après avoir brièvement ornée les appartements de Joséphine au Palais des Tuileries. Depuis lors, ce n’est qu’à l’occasion de guerres que l’œuvre sera mise en sécurité hors de Paris : en 1870 dans les souterrains de l’Arsenal à Brest, durant la Grande Guerre à Bordeaux puis à Toulouse, tandis que durant la Seconde Guerre mondiale, elle sera cachée aux Allemands suivant un périple qui la conduira du château de Chambord au château de Montal, en passant par l’Abbaye de Loc-Dieu et le musée Ingres de Montauban – son Saint Jean Baptiste sera également dissimulé au Nord du Lot. Avec son retour sur les cimaises du Louvre à la Libération, il ne s’agit plus de cacher l’œuvre mais de la faire admirer par-delà le monde. C’est ainsi que le premier ministre de la Culture, André Malraux, l’expédiera aux États-Unis entre 1962 et 1963 – en voyageant dans une cabine première classe du paquebot France ! – puis au Japon et en Russie en 1974. Depuis, le tableau n’a pas quitté la Salle des États où, sous sa vitre blindée, il fait face à une seule autre célébrité : Les Noces de Cana de Véronèse. Pour autant, en janvier 2018, Françoise Nyssen, alors ministre de la Culture s’interrogeait : pourquoi s’interdire de déplacer La Joconde au musée du Louvre-Lens ? Immédiatement, ce fut la levée de boucliers des conservateurs du patrimoine bien que pour les experts l’état du panneau de peuplier – 3,2 kg pour une surface de 77 cm de haut sur 53 cm de large – ne soit pas particulièrement inquiétant mais que tout déplacement pourrait lui causer des dommages irréversibles. Or, il ne faut pas s’y méprendre et savoir lire entre les lignes : la pique de la ministre n’était qu’un signal pour rappeler que la France culturelle n’était pas qu’à Paris. Cette affaire dévoilait ni plus ni moins que la question de la circulation des œuvres et des collections nationales dont la réglementation imparfaite mériterait que le législateur s’y intéresse davantage car un tableau soumis à une interdiction de prêt, en raison de son état physique, qui voyage n’est pas sanctionné alors qu’il porte atteinte à l’intégrité du patrimoine culturel. Preuve en est que le Louvre, qui refuse de faire voyager Mona Lisa pour l’exposition consacrée à Léonard, l’a tout de même déplacé durant l’été pour ne pas priver le public suite à la rénovation de la Salle des États : exception qui confirme la règle ou mystérieux sourire juridique ?



FAUX SUR FAUX NE VAUT


Longtemps ignoré, réapparu en 2005, restauré et rendu public en 2011, le Salvator Mundi de Léonard (vers 1500) est devenu la création plastique la plus chère du monde : 450,3 millions de dollars. Vrai ou faux Léonard ? Partiellement vrai, achevé par ses élèves ou peint par un autre, le débat entre experts n’est pas clôt et peut susciter l’intérêt du juriste puisqu’il n’existe aucune définition juridique de l’« authenticité » et du « faux ». S’il semble que « l’authenticité ne peut couvrir toutes les nuances qui existent en matière d’art. La pratique et la jurisprudence ont [donc] fait naître un vocabulaire particulier que le décret [n° 1981-255] du 3 mars 1981 a codifié »[4]. Ce dernier prévoit que la mention « œuvre par », « œuvre de » garantit que l’auteur mentionné est effectivement celui de l’œuvre, tandis que « atelier de » spécifie que l’œuvre a été exécutée dans l’atelier du maître ou sous sa direction. En miroir, les fraudes artistiques sont appréhendées par la loi du 9 février 1895 et par le biais du délit de contrefaçon[5]. C’est pourquoi, les tribunaux ont été saisis d’affaires célèbres ayant pu contribuer à faire œuvre jurisprudentielle[6]. En outre, ces incriminations spéciales peuvent se cumuler avec des infractions de droit commun qui offrent plusieurs recours possibles aux acquéreurs floués : la garantie des vices cachés ou le dol. Néanmoins, le fondement privilégié reste celui de l’action en nullité de la vente pour une erreur sur les qualités « substantielles », depuis « essentielles ». Très sommairement, l’acheteur doit démontrer qu’il a été victime d’une erreur sur l’authenticité de l’œuvre, autrement dit qu’il a acheté l’œuvre en croyant qu’elle était authentique, que sa conviction était erronée et que son erreur est excusable. C’est pourquoi, en cas de conflit entre un vendeur ou un acheteur, il est nécessaire de rechercher l’existence de l’authenticité de l’œuvre, en faisant intervenir experts et méthodes scientifiques pour vérifier les qualités réelles de l’œuvre. Cependant, une contestation demeure, en l’espèce, peu probable face à l’aura médiatique du Salvator Mundi, mais permet de réfléchir à ce que la création, fausse ou authentique, peut nous apprendre du droit et de notre perception de l’art. Reste un mystère : La Joconde nue (vers 1514-1516) est-elle bien de la main de Léonard ?



APÔTRES AU FÉMININ


En 2005, la marque de vêtements Marithé + Girbaud a fait apposer une immense publicité, sur la façade d’un immeuble parisien, parodiant La Cène de Léonard (1495-1498). Alors que celle-ci représente le dernier repas du Christ entouré de ses apôtres, la publicité les a remplacés par des femmes, tandis qu’un homme est visible dos nu. Ressentie comme une agression par certains catholiques en plein carême, une association a saisi la justice. Or, la provocation à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur religion n’est punissable que si elle pousse à la haine, à la violence ou à la discrimination. C’est sans doute pourquoi l’association s’est placée sur le fondement de l’article 29, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse, notamment en ce qu’il sanctionne l’injure commise en raison de la religion de la personne ou du groupe visé. Néanmoins, la Cour de cassation censura les juges du fond car « l’existence d’un trouble manifestement illicite, quand la seule parodie de la forme donnée à la représentation de La Cène qui n’avait pas pour objectif d’outrager les fidèles de confession catholique, ni de les atteindre dans leur considération en raison de leur obédience, ne constitue pas l’injure, attaque personnelle et directe dirigée contre un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse »[7]. Cela revient à dire qu’une publication perçue comme « irrespectueuse » à l’égard d’une religion peut être libre si elle ne vise pas directement les croyants. Aussi, la récente pièce de théâtre Golgota Picnic de Rodrigo Garcia – où Jésus était qualifié de « pyromane » et de « messie du sida » – n’a pu être interdite car, bien que provocatrice, elle n’incitait pas au rejet ou à la haine des chrétiens[8]. En définitive, si la pensée religieuse de Léonard de Vinci suscite encore des débats, retenons qu’il fut avant tout partie prenante de l’humanisme de la Renaissance, véritable révolte intellectuelle contre la piété médiévale et contre une certaine forme de moralité – qui connaît aujourd’hui un véritable retour de flammes au sein de la création artistique. Aussi, et en dépit de la consécration d’une liberté de création par l’article 1er de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016, il est permis de se demander si Léonard aurait été plus libre aujourd’hui qu’il y a cinq siècles. Après tout, la sexualité du Jugement dernier (1536-1541) de son grand rival, Michel-Ange, ne fut-elle pas « amendée » par le Vatican après son décès ?



[1] É. Fortis, « L’intervention du droit pénal dans la loi du 31 décembre 1913 », in J.-P. Bady et al. (dir.), 1913. Genèse d’une loi sur les monuments historiques, La Documentation française, 2013, p. 251.

[2] C. pén., art. 311-4-2.

[3] É. Fortis, « Les qualifications pénales et la protection du patrimoine culturel : de l’ombre à la lumière », in L. Fonbaustier et G. Goffaux-Callebaut (dir.), Un patrimoine vivant entre nature et culture. Mélanges en l’honneur de Jérôme Fromageau, Mare et Martin, coll. Liber amicorum, 2019, p. 317.

[4] F. Chatelain et P. Tagourdeau, Œuvres d’art et objets de collection en droit français, LexisNexis, coll. Droit et Professionnels, 2011, n° 115.

[5] C. propr. intell., art. L. 335-2.

[6] À propos de Nicolas Poussin (Cass. 1re civ., 22 févr. 1978, n° 76-11.551) ou de Jean-Honoré Fragonard (Cass. 1re civ., 24 mars 1987, n° 85-15.736).

[7] Cass. 1re civ., 14 nov. 2006, n° 05-15.822.

[8] Cass. crim., 14 nov. 2017, n° 16-84.945.



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