Par trois arrêts aux conséquences retentissantes du 30 juin 2022, la Cour de cassation met un terme à un contentieux né aux premières heures du confinement : les loyers dus pour les périodes de fermetures administratives sont-ils exigibles ?
Baux commerciaux et loyers Covid-19 : fin de partie pour les locataires
Ill. : Pexels.
Lors des confinements ordonnés afin de limiter la propagation du Covid-19, les autorités ont interdit l'accueil du public dans les locaux commerciaux considérés comme non-essentiels (L. n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, l'état d'urgence sanitaire, art. 4 ; Décr. n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19, art. 3, I, 2° ; Décr. n° 2020-423 du 14 avr. 2020). Dès lors, nombre de commerçants ont suspendu le paiement de leurs loyers. Dans ces circonstances, les bailleurs - dont des collectivités territoriales à l'instar de communes bailleresses - ont fait délivrer des commandements de payer. Bien que nombre de ces commandements visaient la clause résolutoire du bail, les locataires n'étaient pas décidés à abdiquer d'autant que :
- De nombreux commerçants locataires ont alors suspendu le paiement de leur loyer ;
- À l'occasion d'actions en paiement initiées par les bailleurs, la question du bien-fondé de cette suspension a été posée.
L'interrogation pourrait surprendre à première vue. Néanmoins, l'abondant contentieux a fleuri dans les juridictions. Plus d'une centaine de jugements et d'arrêts ont déjà été rendus par les juridictions du fond. Leurs positions sont souvent contradictoires, pour ne pas écrire paradoxales. Face à ces incertitudes juridiques, la Cour de cassation devait rendre un avis. Toutefois, cette tentative a été avortée. À l'heure actuelle, la Cour de cassation est saisie de trente pourvois. En date du 30 juin 2022, elle a décidé d'en examiner trois en priorité afin de se prononcer sur l'ensemble des fondements juridiques invoqués à l'appui de cette suspension de paiement à savoir :
- La force majeure,
- L'exception d'inexécution,
- Et la perte de la chose louée.
En effet, les mesures prises par les autorités publiques écartent-elles le droit commun de la relation contractuelle ? En outre, l'interdiction de recevoir du public constitue-t-elle un cas de force majeure invocable par le locataire ? Un manquement du bailleur à son obligation de délivrance justifiant que le locataire se prévale du mécanisme de l'exception d'inexécution ? Une perte de la chose louée, au sens de l'article 1722 du code civil, permettant au locataire de solliciter une réduction du montant des loyers dus ?
La réponse à ces multiples questions est d'envergure car selon une note du ministère de l'Économie, des Finances et de la Relance relative à l'impact de la crise sanitaire sur les loyers des commerces, versée aux débats par parquet général de la Cour de cassation, jusqu'à 45 % des établissements du commerce de détail ont été fermés durant la crise ; en outre, le montant total des loyers et charges locatives ainsi immobilisés est estimé à plus de trois milliards d'euros ; enfin les entreprises ont pu bénéficier de trois dispositifs d'aides (fonds de solidarité, coûts fixes et aide loyers) se succédant dans le temps, ainsi que d'autres mesures de soutien.
Sans l'ombre d'une ambiguïté et dans un souci évident d'analyse économique du droit des contrats, il est reconnu la bonne foi du bailleur notamment, comme ce fut le cas pour beaucoup de propriétaires personnes publiques, celui-ci a proposé de différer le règlement du loyer au moyen de délais de paiement. Le bailleur démontre ainsi qu'il tient compte des circonstances exceptionnelles et manifeste donc sa bonne foi.
En ce qui concerne la force majeure, elle est écartée au motif que le créancier de l'obligation de délivrance - à savoir le preneur - qui n'a pu profiter de la contrepartie à laquelle il avait droit ne peut obtenir la résolution du contrat ou la suspension de son obligation. Les trois arrêts de rejet relèvent alors que la cour d'appel a exactement retenu que le preneur, débiteur des loyers, n'était pas fondé ce moyen.
En ce qui concerne l'obligation de délivrance et la perte de la chose louée, la Cour de cassation a considéré que l'effet de cette mesure générale et temporaire était sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué. En conséquence, les fermetures administratives ne peuvent être imputables aux bailleurs. Il ne peut donc, d'une part, leur être reproché un manquement à leur obligation de délivrance. Cette fermeture contrainte n'est, d'autre part, pas assimilée à la perte de la chose. En effet, la fermeture administrative était le seul fait du législateur et non du fait du bailleur, même si ce dernier est une collectivité territoriale.
En ce qui concerne l'exception d'inexécution, la solution de la Cour de cassation se déduit logiquement de son refus d'admettre le manquement à l'obligation de délivrance. La cour d'appel en a exactement déduit que la mesure générale de police administrative portant interdiction de recevoir du public n'était pas constitutive d'une inexécution de l'obligation de délivrance. Sans manquement du bailleur à son obligation caractéristique du contrat, le locataire ne peut valablement invoquer l'absence d'exigibilité corrélative des loyers.
Dès lors, deux enseignements doivent être retenus : d'une part, pour les instances pendantes, il convient de maintenir la dette locative car celle-ci est exigible ; d'autre part, pour les personnes publiques qui ont transigé avec leur locataire, une séance de rattrapage existe : demander le déplafonnement du loyer de renouvellement si l'abandon partiel ou total des loyers consentis n'était pas accompagné d'une renonciation expresse à s'en prévaloir comme motif de déplafonnement.
Parution initiale :
David LOVATO, « Baux commerciaux et loyers Covid-19 : fin de partie pour les locataires ! », AJCT 2022, p. 579 .
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